Par Ahmed Saoudi
Miqyes est le nom qu’a choisi Conect pour son nouveau baromètre de santé de la PME tunisienne. “Nous devons tous, responsables et chefs d’entreprise, rompre avec la subjectivité, l’arbitraire et l’approximation pour développer la culture du rationnel, de l’évaluation, de l’analyse et du suivi”, c’est ainsi que s’est exprimé Tarek Chérif, président de Conect, en prononçant son mot d’ouverture.
L’enquête, réalisée en partenariat avec GSAudit&Advisory et le cabinet d’études One To One, a couvert 540 entreprises réparties sur les 24 gouvernorats et opérant dans les secteurs de l’industrie, des services, du commerce et de l’agriculture.
Ressources humaines
Nous avons tous vécu cela : le manager tunisien a du mal à déléguer. Certains diront même qu’il a peur de déléguer.
Un choix qui coûte énormément à la PME tunisienne, principalement en termes de croissance : “Un entrepreneur qui se veut ambitieux par rapport à son entreprise et s’il veut atteindre de hauts niveaux de croissance, il est obligé de déléguer”, déclare Wassel Berrayana, fondateur et CEO de Proxym IT.
Déléguer, certes, mais ne faut-il pas commencer par avoir confiance en ses collaborateurs ? “Il faut avoir la démarche formation”, ajoute Berrayana. “Il ne faut pas s’attendre à ce que l’université fournisse le cadre idéal. Il faut rappeler que 65% des élèves des écoles primaires et collèges vont faire des métiers qui n’existent pas aujourd’hui. Donc, l’entreprise doit apprendre à former ses collaborateurs”, a-t-il expliqué.
La situation est d’autant plus grave si on prend en compte la conjoncture internationale. Le fondateur de Proxym IT a tiré la sonnette d’alarme. “Nous vivons aujourd’hui une concurrence mondiale pour les ressources humaines. Les jeunes talents sont demandés de partout et ils peuvent partir en Europe très facilement. Les jeunes quittent le pays avant de quitter l’entreprise”.
Accès aux marchés
Alors que la Tunisie arrive, malgré elle, à exporter ses talents, elle peine toujours à élargir ses marchés. Que faut-il faire ? Est-ce le rôle du privé de conquérir de nouveaux terrains, ou est-ce que c’est à l’État d’ouvrir de nouvelles portes ?
“Avant de parler de l’accès aux marchés, il faut commencer par créer une culture de l’export; un exportateur ne peut pas se permettre de penser à court terme”, a lancé Farid Tounsi, fondateur de Tunisie Afrique Export. L’approche marketing fait aussi défaut, d’après Tounsi.
“La Tunisie dispose de 26 pépinières d’entreprises qui font un énorme travail en termes de business plan, de montage d’entreprises, … mais rien pour l’aspect commercialisation et au niveau de l’approche marché”, regrette-t-il. Et d’ajouter : “En élaborant une politique d’assistance aux PME dans les années 70 — chose positive dans le temps — nous avons, malheureusement, habitué l’entreprise à une logique d’assistanat. Pour le privé, le politique doit être un appui plus qu’un chef de file”.
Mais le problème de l’export n’a-t-il pas peut-être des racines ici même ? En d’autres termes, comment voulons-nous que l’entreprise tunisienne conquière des marchés à l’extérieur alors qu’un entrepreneur sur deux trouve que les pots-de-vins sont nécessaires pour pouvoir travailler ? Sans oublier les ralentissements imposés par les différents départements de l’administration tunisienne.
“Contrairement aux idées reçues, la douane oeuvre sans hâte pour lutter contre la corruption. Les îlots de l’intégrité et la convention signée avec l’Instance nationale de lutte contre la Corruption font foi”, a déclaré Adel Ben Hassen, Directeur général des douanes. “En ce qui concerne le port, il faut rappeler que nos services n’y sont pas les seuls intervenants. Nous sommes le dernier maillon dans une longue chaîne”.
Le numéro un de la douane recommande aux entrepreneurs de renforcer leurs équipes de déclarants en douane. Un spécialiste en la matière peut éviter aux entreprises d’énormes retards. “Une grande partie des retards dénoncés auprès de nos services était causée, après vérification, d’une mauvaise gestion du dossier de la part de l’entreprise elle-même”, explique-t-il.
Pour le Cepex, un programme de restructuration a été mis en place. Le Centre de Promotion des Exportations devrait finaliser sa mise à jour aux alentours de … 2020 ! D’un coût estimé à 3 millions de dinars, ce projet, financé par la Banque mondiale, va démarrer en 2018. “Nous avons réussi à assurer des résultats très positifs pour les exportations tunisiennes: nous sommes aujourd’hui le premier fournisseur de l’Union européenne pour un certain nombre de produits. La Tunisie est aussi le premier exportateur de produits industriels dans le sud de la Méditerranée”, s’est félicité le représentant du Cepex.
Financement
Sans doute, le financement est l’une des plus grandes problématiques que peut rencontrer la PME.
Ceci est vrai aussi bien à la création qu’au développement. Financer la restructuration d’une PME en difficulté est encore pire. “En Tunisie, nous avons le luxe de disposer d’un Fonds de soutien aux PME avec 55 millions de dinars”, a déclaré Slim Feriani, Pdg de la BFPME. “Je compte renouveler cette ligne de crédit pour sauver des emplois”.
Les banques commerciales sont souvent jugées très exigeantes vis-à-vis des entrepreneurs, sans parler des PME. “Environ 75% de nos engagements sont constitués par des crédits accordés aux entreprises”, a fait remarquer Maya Blagui Zarrouk, chargée de la division Développement moyennes entreprises, Corporate ATB.
“La plupart du temps, le promoteur agit seul, sans l’accompagnement d’un DAF, par exemple. Du coup, il évalue mal ses besoins de financement, aussi bien en investissements qu’en crédits de gestion”, a-t-elle expliqué. D’où le taux important de refus des demandes de financement des entreprises.
L’action gouvernementale
Le gouvernement était représenté par Zied Laadhari, ministre du Commerce et de l’Industrie, qui a rappelé les quatre axes transversaux de l’action gouvernementale.
Il s’agit de tripler l’infrastructure disponible afin de créer les conditions d’un développement dans les régions et de mettre le slogan de la discrimination à l’oeuvre; de travailler sur l’accompagnement et le financement car il est très important de se concentrer sur les niches où il y a des opportunités.
Il s’agit également d’encourager l’innovation qui va permettre à notre industrie de survivre dans le monde de demain et d’ouvrir de nouveaux marchés pour l’export, principalement en Afrique où les entreprises tunisiennes ont l’opportunité de devenir des champions au niveau continental vu qu’elles sont très adaptées au contexte africain et peuvent être accompagnées dans une démarche d’internationalisation.