Un article par Lotfi Saibi, president and director at 21st Century Services & 4D-Leadership House. Paru dans le numéro 229 du magazine Le Manager.
La solution pour la stabilité sociale et la croissance économique résiderait dans la création d’un écosystème entrepreneurial durable. Mais l’éclosion d’un environnement adapté à une croissance à long terme nécessite plus que l’émergence de quelques jeunes entrepreneurs talentueux ou d’un jargon entrepreneurial galvaudé sans une vraie compréhension.
Les recettes pour faire de la croissance économique mijotées ailleurs et mal adaptées à notre contexte tunisien singulier ainsi que les copier/coller couramment utilisés ne marcheront pas dans ce cas.
Le diagnostic du climat entrepreneurial permet de constater l’inadéquation des stratégies, mises en place sans grande compréhension du concept de PME en tant que propulseur. Il semble que nous n’avons pas tout à fait saisi l’idée de coopération, de durabilité (stabilité, pérennité) et d’innovation.
La création de 50 incubateurs qui accompagnent les jeunes dans la réflexion et le lancement de leur startup est louable. Cependant, plutôt que de gaspiller du temps et de l’argent à installer des incubateurs rassemblant les jeunes esprits pour obtenir des ressources et leur donner de faux espoirs, il faudrait plutôt un réseau bien orchestré regroupant tous les acteurs de l’entrepreneuriat pour créer un écosystème de croissance.
90% des startups ne survivent pas au-delà de leur deuxième anniversaire et bon nombre de celles qui survivent créeront de l’emploi pour une ou deux personnes. De bonnes raisons expliquent ce constat.
Un écosystème entrepreneurial créateur de potentiel requiert une synchronisation de six éléments qui doivent interagir de manière symphonique. Un maillon manque et c’est tout le système qui éclate. Il s’agit de la Politique, de la Finance, de la Culture, du Support, du Capital Humain et des Marchés.
Aujourd’hui, même s’ils répondent tous présents en Tunisie, ils le sont à des niveaux différents. Certains existent à des niveaux très primitifs faisant perdre l’espoir aux entrepreneurs.
En examinant individuellement ces six domaines, nous réalisons que le chemin de la croissance durable est encore long. Nous nous proposons d’attribuer des scores de 0 à 5 à chaque domaine ; 0 pour inexistant et 5 pour un idéal.
Culture
C’est notre capacité en tant que communauté à encourager l’innovation, à booster la pensée créative de nos jeunes, à tolérer les erreurs et à apprendre des échecs, à travailler de manière collaborative avec d’autres et à échanger des expériences. Cet apprentissage mobilise la famille, le dispositif éducatif, le monde économique, la communauté financière, les institutions gouvernementales. Le domaine culturel reste le maillon le plus faible de cette chaîne, beaucoup de travail reste à faire.
Capital humain
Ce sont les bonnes relations avec les universités et les centres de recherche, les liens tissés avec les associations des alumni et les professionnels à la retraite pour le mentoring et la formation. Ce sont les facilités de formation pour aider les jeunes entrepreneurs à améliorer rapidement leurs compétences en soft skills (développement personnel) et en leadership. Et finalement il s’agit des formations entrepreneuriales dans des programmes de base octroyés dès le lycée par des enseignants avisés, ou via des visites professionnelles. Au même titre que la culture, le capital humain est crucial pour la réussite de l’écosystème et demeure un maillon faible. Rater la synergie avec les universités, les centres de recherche et le savoir-faire industriel et social induit l’échec de l’incubateur.
Politique
C’est essentiellement le leadership politique : quand les pouvoirs publics montrent le chemin et proposent des stratégies gagnantes, c’est voir les institutions et les dispositifs de soutien financier et réglementaire travailler main dans la main. C’est une législation favorable aux PME.
Marchés
Ils sont essentiels et demandent à être identifiés tôt dans le processus, afin de garantir des adeptes précurseurs et éventuellement un accès facile aux marchés internationaux. Ce qui manque, c’est un réseau de diaspora tunisienne et d’entreprises multinationales disposées à être parties prenantes à un stade précoce.
Finance
Il s’agit de faciliter l’accès aux investisseurs providentiels, au capital risque, au marché de capitaux et aux microcrédits. Beaucoup de lourdeurs bureaucratiques et d’obstacles administratifs restent à franchir pour améliorer notre dispositif d’aide financière.
Support
Ce sont les procédures administratives et comptables ainsi que l’expertise technique qui permettraient aux jeunes de contourner les formalités bureaucratiques. Le support doit être ouvert à tous les jeunes, tous champs confondus, sous la forme d’incubateurs régionaux. Assurer la logistique, les outils de communication et l’infrastructure est un « must ». J’admets que les réalisations de la société civile et des incubateurs, dans ce domaine, sont considérables, mais elles restent insuffisantes.
C’est, en effet, un processus laborieux, participatif qui se veut partie intégrante d’une vision globale définie et débattue qui ne peut pas être envisagé dans le court terme. Miser sur un changement durable nécessite d’inverser le cycle du processus de construction en commençant par l’écosystème plutôt que par les incubateurs.